Le changement climatique au fil des jours, vu des terroirs de
France
Du Berry à la Corse, nous avons recueilli le témoignage d'éleveurs,
agriculteurs ou vignerons, installés depuis des dizaines d'années
sur le
même bout de terre. Avec des nuances et des interprétations
variées, tous
perçoivent des évolutions, parfois très nettes
Jean en voudrait presque à ces rayons généreux qui inondent la
cour de sa
ferme. "Un soleil chaud en hiver, ce n'est pas normal
!", dit-il. Chez les
Dupuis, près de Romorantin (Loir-et-Cher), en Sologne, la quête
du temps
qu'il fait est un acte quasi religieux, et on y mêle le savoir
des anciens.
Annie, son épouse, ouvre le tiroir du buffet de la cuisine et en
sort des
feuillets d'écolier. Depuis 1992, elle y consigne tous les événements
climatiques de la ferme (température, précipitations, nature et
force des
vents). "Les jeunes se croient plus forts que le diable,
alors moi je note
!", lance-t-elle. Jean est formel : "Il y a vingt
ans, les saisons étaient
encore marquées. Depuis 1976, l'année de la grande sécheresse,
la météo est
déboussolée." Ils remarquent des changements "brutaux",
spectaculaires.
Marc, leur fils, qui vient de reprendre la ferme, constate des
"tornades",
qui se multiplient, opérant des frappes presque "chirurgicales",
avec des
"masses d'eau" impressionnantes. "C'est plus
puissant, plus localisé, avec
des éclairs plus menaçants, d'un bleu qui fait mal aux yeux, et
ça anéantit
les cultures en cinq minutes !", résume Marc.
Autrefois, "ces tornades
existaient, mais on n'y faisait pas attention. Aujourd'hui, c'est
amplifié
par la télé. Notre jugement est peut-être influencé",
reconnaît-il. Pour les
Dupuis, la tempête de 1999 est venue renforcer l'idée que la
France vivait
un "séisme" climatique. "On ne voit plus les
orages comme avant. Ils font
peur. C'est violent comme sous les tropiques", précise un
voisin. La tempête
a laissé des traces dans la nature, mais aussi dans les têtes.
Preuve de ces changements selon les Dupuis : les
perturbations vécues par
la faune. "Hier, à midi, les abeilles étaient de sortie.
On n'en revenait
pas." Jean est intarissable sur les papillons qu'on
rencontre tout
l'automne, les grillons qui se mettent à chanter dès le
printemps ou les
oiseaux migrateurs, dont la ronde dans le ciel est complètement
déréglée.
"La météo bouge trop. Qu'est-ce que le ciel nous réserve
?", se
demande-t-il, inquiet.
Joseph Blanchet, agriculteur à la retraite à Montmarault (Allier),
est
nuancé : "Des irrégularités dans les saisons,
on en a toujours connu. Les
scientifiques expliquent qu'il y a radoucissement. Je crois
qu'ils ont
raison. C'est vrai que, depuis plus de vingt ans, nous
avons des hivers
plutôt doux, mais, dans les années 1930, nous en avons connu
aussi." Il se
souvient aussi d'un été 1936, très pluvieux, aussi arrosé que
ceux
d'aujourd'hui. "Et, dit-il avec un peu d'émotion, je me
suis toujours
demandé si les ouvriers qui partaient pour la première fois en
congé avaient
pu avoir quelques rayons de soleil !"
"UNE ROUE QUI TOURNE"
Emmanuel, viticulteur dans le Vaucluse, voit des cycles
climatiques de 70 à
80 ans. De la longueur d'une vie humaine, en somme. "Le
climat, c'est une
roue qui tourne", dit-il. Les"excès d'eau" qui se
déversent aujourd'hui dans
le sud de la France ne le surprennent pas. "Si les propriétés
viticoles
s'entouraient autrefois de fossés, c'est qu'il devait déjà
beaucoup
pleuvoir", explique-t-il. "C'est vrai que la terre se réchauffe,
ne
serait-ce qu'àcause de nos propres appa-reils, qui renvoient de
la chaleur
et de l'humidité dans l'atmosphère", mais il ne croit pas
à une modification
fondamentale du climat.
Paul, lui aussi viticulteur, en Corse-du-Sud, ne partage pas
l'avis de son
collègue du Vaucluse. Sa propriété borde la mer. Le climat méditerranéen
est
caractérisé par des étés chauds et secs. Or, depuis dix ans
environ, il
constate des étés chauds et humides. Certes, il ne pleut pas,
mais il règne
une forte hygrométrie. "Toute la journée, on voit un léger
voile sur la
montagne, sauf les jours de mistral." Le linge de la maison
n'arrive même
plus à sécher.
Lorsqu'il montait naguère à l'intérieur des terres à
l'automne, vers 300 ou
400 mètres d'altitude, les couleurs de la nature étaient
éclatantes. A
présent, la nature est comme éteinte, "à cause de ce
voile" qui est toujours
là. Autre changement, "le mistral n'arrive plus comme avant.
On ne le reçoit
pas, ou alors faiblement", observe Paul.
Durant l'été, une agréable petite brise de l'ouest soufflait
en bord de mer
toute la journée. Aujourd'hui, elle vient du sud, "une
brise chaude, genre
sirocco, qui apporte de l'humidité". Elle oblige les
viticulteurs à
multiplier les sulfatages et les poudrages. La barre de montagnes
qui
s'élève au-dessus de chez lui jusqu'à 1 800 mètres
restait enneigée
jusqu'en mai. Aujourd'hui, il tombe de la neige, mais "deux
ou trois jours
après, elle fond". Exception faite pour l'hiver qui s'achève,
où elle est
restée à cause du froid très vif. "Les hivers ne sont
plus comme avant. On a
trop souvent du beau temps. C'est agréable, c'est sûr, mais ce
n'est plus
l'hiver."Paul est persuadé qu'on s'achemine vers un "changement
climatique
de fond". "C'est ce que disent d'ailleurs les
scientifiques, ajoute-t-il.
Certains ruraux pensent qu'on est dans un cycle. Moi, non. De
tels
changements en l'espace de dix ans, ce n'est pas un cycle. Cela
fait trop
d'événements inhabituels sur une période aussi courte."
Eleveur dans le sud du Berry, Philippe Guénin estime que "le
climat est
devenu très contrasté". Périodes de beau et de mauvais
temps, brusques
écarts de température se succèdent de façon imprévisible.
"En principe, on
vit en France dans un climat tempéré. Il l'est beaucoup moins,
on saute
facilement d'un extrême à l'autre", remarque-t-il.
Ce qui le frappe, c'est le dérèglement des passages de certains
oiseaux
migrateurs. Les grues cendrées achevaient de passer au- dessus
de chez lui
en direction du sud vers le 15 novembre, et les premières
remontées
n'avaient pas lieu avant le 15 février. Actuellement, les
dernières
descentes s'effectuent jusqu'à la fin décembre et les oiseaux
commencent à
remonter dès le début janvier. "On a l'impression qu'elles
ont fait
demi-tour à Bordeaux", sourit-il. D'après lui, le phénomène
s'est accentué
depuis deux ou trois ans. "Leurs conditions de ponte ont
peut-être changé",
tente-t-il d'expliquer. Mais les autres migrateurs ne semblent
pas
perturbés. "Mon brave coucou est arrivé il y a huit jours,
comme
d'habitude", signale-t-il.
"J'observe des indices de changements climatiques, mais pas
plus,
résume-t-il. J'aurais plutôt tendance à croire les
observations des
scientifiques. Un paysan a les pieds sur terre, mais il ne voit
pas très
loin. Dix ans, sur le plan climatique, qu'est-ce que c'est
? Le
réchauffement, c'est sûr qu'il a lieu, mais c'est un mouvement
lent, dont
les effets ne se sentiront que dans quelques décennies, quand il
sera
peut-être trop tard."
Régis Guyotat
1976, année charnière
Depuis 1976, la température globale moyenne a augmenté environ
trois fois
plus vite que sur l'ensemble du siècle", a déclaré Godwin
Obasin, secrétaire
général de l'Organisation météorologique mondiale, dans son
discours
d'ouverture du Symposium international sur les changements
climatiques, qui
s'est tenu à Pékin du 31 mars au 2 avril. Depuis
1990, la Terre a connu
onze des treize années les plus chaudes depuis 1860, date depuis
laquelle
les températures sont relevées. 1998 et 2002 ont été les plus
caniculaires.
Pour la concentration de CO2 dans l'atmosphère, M. Obasin
estime que le
taux actuel n'a pas été dépassé "au cours des 420
000 dernières années et
probablement pas au cours des dernières 20 millions d'années".
Droits de reproduction et de diffusion réservés Le Monde 2002.
Je souhaiterai collecter des informations sur les grands phénomènes météorologies qu'on connus nos ancêtres.
Pour cela, si quelqu'un possèdes certaines informations sur ces phénomènes, communiquer les moi.
mise à jour le 16 avril 2008 |